Bannalec

EÑVORENN BANALEG

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1869 : La réhabilitation

Quelques rappels sur l’état de l’affaire en 1859.

Cinq ans après le procès d'Auguste Baffet et Yves Le Louarn, durant l’été 1859, un soldat de l’artillerie de marine, Claude Millour a violemment agressé et réclamé de l’argent à Marie-Yvonne Le Scelin, meunière au moulin neuf de Saint Cado, tenatnt même de mettre le feu à la toiture en chaume du moulin. Une enquête de routine, par les gendarmes qui ont eu vent de l’affaire leur apprend que Millour est en fait l’ancien serviteur de la meunière avec qui, il a eu trois enfants naturels. La rumeur à Bannalec désigne Millour comme étant le possible troisième homme du drame de Castel Coudiec en 1854. Le procureur Impérial décide alors d’ouvrir une enquête. Rapidement, les gendarmes apprennent que Millour avait caché 390 francs dans son potager en janvier 1854 et aurait dit à un proche que cet argent provenait d’un vol commis aux dépens des époux Guigourès. Le juge d’instruction , Mr Eugène Founier, est alors saisi de l’affaire suite à ces révélations : Baffet et Le Louarn seraient-ils innocents ?

Les réels coupables passèrent rapidement aux aveux. Après une partie de cartes bien arrosée au moulin-neuf Saint Cado, la meunière Marie-Yvonne Le Scelin suggéra à Millour et deux autres comparses, Jambou et Ollivier, d’aller cambrioler les époux Guigourès qui venaient de recevoir une belle somme d’argent. Ils devaient détrousser les Guigourès de leur argent et également récupérer les actes d’une propriété que la meunière convoitait. Après 6 mois d’instruction, la Cour d’assises du Finistère les jugea en catimini, presque à huis-clos, pour ne pas ébruiter l’affaire qui altérait la confiance que l’on pourrait avoir dans la justice Quimpéroise. La presse locale, régionale et parisienne eut cependant vent de l’affaire. Le procès, expédié en une seule journée, condamna la veuve Sinquin et Millour aux travaux forcés à perpétuité, Jambou et Ollivier à 20 et 15 ans de bagne respectivement. Jean Guigourès, partie civile, eu 3000 francs de dommages et intérêts.

Le Président de la Cour d’Assises déclara : « La cour, après avoir délibéré, considérant que les débats de ce procès pourraient entrainer des incidents fâcheux pour l’ordre public et les bonnes mœurs, vu l’article 17 du débat organique du 17 février 1852 sur la presse, interdit toute publication des débats de l’affaire ».

Mais, quid de Baffet et Le Louarn ? 6 condamnations pour une seule et même affaire, c'était un peu de trop ! Malheureusement, à l’époque, la loi ne permettait pas la révision d’un procès et une réhabilitation lorsque les accusés étaient décédés. Une nouvelle loi était donc nécessaire….

Promulgation de la loi élargissant le champ d’application lorsque les accusés sont décédés.

Le 29 juin 1867, une nouvelle loi est promulguée élargissant le champ d’application des cas de révision des procès autorisant la révision lorsque les accusés sont décédés.

« Cet élargissement de la loi a été principalement motivé par une très ancienne erreur judiciaire médiatique qui ne cessait de remonter à la surface tant elle était célèbre et choquait encore l’opinion, bien qu’elle remontât à l’année 1796 : il s’agissait de l’affaire dite « du courrier de Lyon ». La loi modifiée autorisa les descendants d’un condamné à solliciter la révision, pour les cas prévus par les articles 443 (double condamnation) et 445 (faux témoins).  « Le législateur en profita pour regrouper les trois cas de révision dans l’article 443 et ouvrit la révision aux condamnations correctionnelles. Il fut proposé, sans succès, de créer un quatrième cas de révision, s’il était démontré qu’en raison d’une erreur de fait, un condamné était innocent ». Actualité, le quotidien du droit, Dossier Patrice Reviron, 29 Sept 2017.

En résumé : « La loi du 29 juin 1867 donne la possibilité de réviser un procès après la mort des condamnés ou en cas de deux arrêts non conciliables. Ce droit n’appartenait plus seulement au ministre de la Justice, comme l’avait décidé le Code d’instruction criminelle, mais encore : 1° au condamné lui-même ; 2° après la mort du condamné, à son conjoint, à ses enfants, à ses parents, à ses légataires universels ou à titre universel, à ceux qui en avaient reçu de lui la mission expresse. Ces personnes, à vrai dire, ne pouvaient pas porter directement leur demande à la cour suprême comme s’il s’était agi d’un simple pourvoi en cassation : la Cour ne pouvait être saisie, comme dans le passé, que par son procureur général sur l’ordre du ministre ; cependant le ministre, intermédiaire obligé, ne peut plus se refuser à donner cet ordre, lorsque la réclamation des parties est fondée sur un des cas de révision prévus par le Code et présentée dans le délai légal ».

Art. 443 : Lorsqu'un accusé aura été condamné pour un crime, et qu'un autre accusé aura aussi été condamné par un autre arrêt comme auteur du même crime, si les deux arrêts ne peuvent se concilier, et sont la preuve de l'innocence de l'un ou de l'autre condamné, l'exécution des deux arrêts sera suspendue, quand même la demande en cassation de l'un ou de l'autre arrêt aurait été rejetée. Le grand-juge ministre de la justice, soit d'office, soit sur la réclamation des condamnés ou de l'un d'eux, ou du procureur général chargera le procureur général près la cour de cassation de dénoncer les deux arrêts à cette cour. Ladite cour, section criminelle, après avoir vérifié que les deux condamnations ne peuvent se concilier, cassera les deux arrêts, et renverra les accusés, pour être procédé sur les actes d'accusation subsistants, devant une cour autre que celles qui auront rendu les deux arrêts.

Les arguments en faveur d’une révision par le conseiller rapporteur de Carnières.

Le Conseiller rapporteur de Carnières fit un rapport exhaustif sur l’affaire et très précis quant au cadre général et les possibles écueils de la révision à destination de l’avocat Général Connely à la cour de cassation.

Depuis la condamnation de Le Louarn et Baffet, la loi du 29 juin 1867, en modifiant les articles 443, 444, 445, 446 et 447 du Code d’instruction criminelle, a rendu possible une révision que le procureur général de Rennes regrettait, en 1859, de ne pouvoir provoquer. Aussi, par une lettre en date du 30 avril dernier, M. le garde des sceaux a chargé M. le procureur général près la Cour de cassation de soumettre l’affaire à votre examen, et ce magistrat vous a adressé, le 7 mai, un réquisitoire tendant à ce qu’il vous plaise déclarer recevable la demande en révision des arrêts de la Cour d’assises du Finistère du 1er mai 1854 et du 21 janvier 1860, et statuer au fond ce qu’il appartiendra. » 

Le droit du garde des sceaux de provoquer la révision d’un procès criminel est écrit textuellement dans l'article 444 du Code d'instruction criminelle. L’exercice de ce droit est fondé, dans l’espèce actuelle, sur l’existence de deux condamnations qui ne peuvent se concilier et dont la contradiction est la preuve de l’innocence des premiers ou des seconds condamnés. La Cour sait que ce cas est prévu par le § 2 de l’article 443. L’exposé des faits que nous nous sommes efforcés de vous présenter avec la plus entière exactitude, et qui pourra d’ailleurs être vérifié par la lecture des pièces, ne vous laissera, nous le pensons aucun doute sur l'existence de cette contradiction.

Trois personnes ont participé directement au vol commis dans la nuit du 17 au 18 janvier 1854 ; cinq personnes ont été condamnées comme auteurs de ce vol, deux par l’arrêt du 1 er mai 1854, trois par celui du 21 janvier 1860, et l’on peut, en toute sécurité de conscience, reconnaître et affirmer qu'il y a parmi elles des innocents, et que ces innocents sont, soit les deux premiers condamnés, soit les trois derniers. Nous ne parlons pas de la veuve Sinquin qui n'a été condamnée que pour complicité.

A ce premier point de vue, la demande vous paraîtra donc recevable, et vous devrez le déclarer. Mais votre mission ne pourra se borner à cette déclaration, et, eu égard aux circonstances éminemment regrettables qui se produisent dans la cause, vous aurez le devoir d’examiner le fond même de l'affaire, et de décider quels sont les innocents, et quels sont les coupables. L’article 446 veut, en effet, que, lorsqu'il ne pourra être procédé à de nouveaux débats oraux entre toutes les parties, notamment en cas de décès, la Cour de cassation, après avoir constaté expressément cette impossibilité, statue au fond sans cassation préalable ni renvoi. Ici se rencontre une difficulté résultant de ce que la loi présente une certaine obscurité au point de vue de la procédure à suivre. Investis du devoir de statuer au fond, quelles sont les formes que vous adopterez pour assurer la sécurité de vos consciences et le respect de votre décision ?

Avant de rendre votre arrêt, devrez-vous appeler la partie civile qui, dans le second procès, a obtenu des dommages-intérêts contre les condamnés? Devrez-vous nommer des curateurs à la mémoire des condamnés décédés ? Devrez-vous faire comparaître les condamnés vivants et les mettre en demeure de se défendre? Serez-vous libres de vous décider selon les circonstances, et de vous prononcer de piano lorsqu'aucun intérêt substantiel ne vous paraîtra pouvoir être lésé par une telle décision? Le laconisme de la loi du 29 juin 1867 nous a paru faire naître ces questions, et nous avons regardé comme un devoir de les soumettre à votre examen. Dans la pensée du législateur, et en règle générale, la révision d’un procès criminel, dans le cas prévu par le § 2 de l’article 443, doit donner lieu à un débat contradictoire. L'inconciliabilité de deux arrêts criminels peut, en effet, dans certains cas, devenir l’objet d’une lutte vive et passionnée entre les condamnés dont le sort est remis en question.

Quel est l'innocent, quel est le coupable ? Pourvu que ces questions présentent quelque incertitude, on aperçoit immédiatement l’intérêt qui s’attache à un débat nouveau, et l’on sent la nécessité de donner le champ libre à chacune des parties afin de ne laisser dans l’obscurité aucun des éléments de la vérité que l’on cherche. Cette nécessité avait paru si impérieuse au législateur de 1808, que c’est sur elle qu’il avait fondé la procédure de révision en cas de contrariété de deux arrêts. « Il faut le dire avec douleur, dit-on dans le rapport présenté au Corps législatif, il pourrait arriver que des condamnations prononcées contre des accusés présentassent, depuis qu'ils seraient morts, des incertitudes ; mais il serait impossible de les vérifier, parce que les débats seraient impraticables.

Le rapport du conseiller de Carnières avait pour but de présenter en détail le dossier de l’affaire pour permettre sa prise en compte et ensuite sa possible révision par la Cour de cassation. Il en fit donc un descriptif détaillé et précis :

Dans la nuit du 17 au 18 janvier 1854, un vol d’argent et de papiers d’affaires a été commis au préjudice d’un sieur Guigourès, au village de Castel Coudiec, commune de Bannalec, à l'extrémité de la basse Bretagne. Entre minuit et une heure du matin, deux malfaiteurs ont enfoncé la porte d'une misérable chaumière habitée par cet homme, vieillard de soixante-quinze ans, par sa femme et par sa jeune servante ; l’un d’eux était armé d’un fusil et d’un pistolet; ils avaient l’un et l’autre la figure noircie et la tête couverte d'un linge, et chacun d'eux portait au-dessus de ses vêlements une chemise de toile blanche. Après une scène de menaces et de violences qui se prolongea pendant plus d’une heure et dans laquelle Guigourès fut blessé à sang coulant, ils fouillèrent les différents meubles, et, dans un tiroir fermé à clef dont ils brisèrent la serrure, ils enlevèrent une somme de 2 100 francs qui composait presque toute la fortune du vieillard et des papiers parmi lesquels il s’en trouvait de relatifs à une tenure à domaine congéable. Ces deux voleurs n’étaient pas seuls pour l'accomplissement de ce crime audacieux; pendant qu’ils s’introduisaient dans la maison, un complice, armé d’un bâton, veillait à la porte extérieure.

Dans un moment où Guigourès avait tenté de prendre la fuite, ce complice l’avait violemment repoussé en le frappant. Les malfaiteurs, emportant le produit de leur vol, s’éloignèrent dans la direction du centre de la commune distant d'environ 10 kilomètres; des voisins de Guigourès, appelés par celui-ci, les suivirent pendant quelques instants, mais, quoiqu’ils les entendissent marcher et parler, ils ne purent ni les reconnaître ni les atteindre. Une instruction fut immédiatement ouverte ; le signalement des voleurs était donné avec une certaine précision ; parmi ceux qui étaient entrés dans la maison, l’un était de taille moyenne, fortement constitué, et portait une barbe grisonnante datant d’environ huit jours ; l’autre était un peu plus grand. Celui qui avait fait le guet était plus jeune et portait le costume de Bannalec, veste et pantalon de toile et chapeau plat.

Ces renseignements dirigèrent immédiatement les soupçons sur deux individus mal famés de la commune de Bannalec, les nommés Yves Le Louarn, ouvrier carrier, âgé de trente-six ans, et Auguste Baffet, cultivateur et ancien aubergiste, âgé de cinquante-un ans : on crut trouver en eux les deux auteurs principaux du crime ; ils furent arrêtés, une perquisition fut faite au domicile de chacun d’eux. Chez Le Louarn on ne découvrit rien de suspect; mais chez Baffet on saisit une chemise d’homme en toile de coton, maculée de boue et tachée de sang dans sa partie inférieure, ainsi qu’un linge ayant la forme d’une serviette et un mouchoir blanc portant des taches de même nature. Les explications qu’il donna à ce sujet parurent embarrassées; elles devinrent une charge contre lui.

Ces deux inculpés furent amenés en présence de Guigourès, de sa femme et de sa servante; mais cette confrontation ne produisit aucun résultat précis. Seulement la servante, jeune fille de treize ans, qui était restée dans son lit pendant toute la scène du vol, et qui avait pu observer les malfaiteurs sans avoir été aperçue par eux, déclara que la chemise saisie chez Baffet et que l’on avait fait endosser par lui ressemblait à celle que portait le voleur armé; et elle crut reconnaître Le Louarn, la taille et à la voix pour être ce voleur, sans être cependant certaine que ce fût lui. Les charges qui résultaient de ces premiers pas de l’instruction avaient une bien minime importance ; mais il s’en produisit presque aussitôt de nouvelles de nature à faire une plus profonde impression.

Comme les deux voleurs principaux avaient eu la figure noircie au moment du vol, on eut la pensée de faire examiner s’il n’existerait pas quelques traces noires sur la figure de l’un ou de l’autre des inculpés ou de tous deux. A cet effet, un docteur en médecine fut commis à titre d’expert. L’examen auquel il se livra lui fit constater l’existence d’une raie noire sur le front de Le Louarn, et de deux plaques noires très apparentes derrière l’oreille gauche de Baffet; et, dans son rapport, après avoir minutieusement décrit ces traces diverses et après avoir exposé les différents modes d’investigation auxquels il a cru devoir recourir, il conclut ainsi qu'il suit : « D’après les faits ci-dessus relatés, je crois pouvoir conclure que les taches que j’ai remarquées sur la figure de Le Louarn, et celles que j’ai trouvées derrière l’oreille gauche de Baffet, ne peuvent provenir que d’un enduit de suie ou de poudre de charbon appliqué sur la figure. soit que cet enduit ait été fait au moyen de l’incorporation de l’une ou de l’autre de ces substances à un corps gras, ou qu’elles aient été détrempées avec de l’eau. » A cette affirmation si grave, et repoussée par des explications invraisemblables et dont l’inexactitude fut d’ailleurs presque aussitôt démontrée, s’ajoutèrent bientôt de nouveaux indices qui furent successivement recueillis. Ainsi il fut constaté que, dès le 18 janvier au matin, lendemain du vol, Baffet avait fait couper sa barbe qui datait de plus de huit jours et qui était grisonnante ; on reconnut en outre qu’il était dans une situation d’affaires très embarrassée et qu’il était menacé d’une saisie mobilière. D’un autre côté, un témoin fit connaître que, quelques jours avant le crime, Lelouarn, parlant du haut prix des grains et de la misère qui en résultait (la Cour sait qu’une grande disette a sévi sur une partie de la France en 1854) disait que l’on devrait se réunir quinze à seize pour aller prendre du blé quelque part, qu’autrement il n’y aurait plus moyen de vivre. Et un ouvrier, ami de ce prévenu, révéla que, la veille même du vol, le 17 janvier, Le Louarn, après l’avoir entretenu de la cherté des grains et du peu d’argent que, dans cette saison, on pouvait gagner, lui avait dit : « Viens avec moi ce soir et nous irons trois ou quatre quelque part où il y aura beaucoup de blé et beaucoup d’argent, » et que, sur son refus, Lelouarn avait ajouté que, « s’il n’y allait pas ce soir même, il y aurait été avant la fin de la semaine, afin de ne pas attendre d’être trop affaibli par la faim. » Lelouarn, il est vrai, niait formellement avoir tenu ces propos, mais il reconnaissait cependant avoir, au jour indiqué, parlé de la misère des temps et de la peine qu’avaient les pauvres ouvriers pour gagner du pain pour eux et pour leurs familles. Cet ensemble de faits et de circonstances recueillis par l’information motiva la mise en accusation des deux prévenus. D’autres individus avaient été arrêtés au moment des premières recherches, mais ils avaient été mis en liberté presque immédiatement faute d’indices suffisants ; on n’avait d’ailleurs découvert aucune trace du malfaiteur qui avait fait le guet pendant l’exécution du vol. L’arrêt de mise en accusation porte la date du 11 mars 1854, l’acte d’accusation est daté du lendemain. »

« Les deux accusés ont comparu devant les jurés le 1er mai, et, reconnus coupables, Le Louarn purement et simplement, Baffet avec une déclaration de circonstances atténuantes, ils ont été condamnés, le premier aux travaux forcés à perpétuité, le second à vingt ans de travaux forcés. Leur pourvoi en cassation a été rejeté par un arrêt du 1er juin suivant. Le Louarn, transféré à la Guyane le 18 décembre 1854, y est décédé le 20 juillet 1855 ; Baffet est mort au bagne de Brest le 23 décembre 1854. Cependant ces deux malheureux étaient innocents! »

« L’étrange concours de circonstances que nous venons de dérouler et que nous nous abstenons de critiquer avait trompé successivement l’opinion publique, les magistrats et le jury, et c’est pour constater cette funeste erreur et pour la réparer, autant que possible, dans l’intérêt de la mémoire des condamnés et dans celui des familles qui leur survivent, que, par ordre de M. le garde des sceaux, M. le procureur général vous défère l’examen de celle triste affaire, en vertu des articles 443 et 444 du Code d'instruction criminelle, modifiés par la loi du 29 juin 1867. »

C’est en 1859 que se sont révélés les faits dont la constatation ne laisse aucun doute sur l’innocence de Le Louarn et de Baffet. Le 14 août de cette année, vers dix heures du soir, un nommé Claude Millour, âgé de vingt-six ans, soldat dans l’artillerie de marine, en garnison à Lorient est en congé à Bannalec. Il se rendit au moulin neuf de Saint-Cado, en Bannalec, occupé par une veuve Sinquin, et réclama de cette femme le remboursement d’une somme de 390 francs qu’il prétendait lui être due par elle. Congédié à grand peine, il revint le lendemain, insista de nouveau, se montra menaçant devant un refus, et obtint enfin une somme de 10 francs. Le 16, il se représenta de nouveau vers onze heures et demie du soir, et, se voyant refuser l’entrée de la maison, il se répandit en injures, en menaces d’incendie, et ne se retira enfin qu’en entendant accourir des voisins dont on était allé réclamer le secours.

Cet homme, avant de s’engager au service militaire, avait été, pendant trois ans et demi, le domestique de la meunière de Saint-Cado ; des relations intimes s’étaient établies entre lui et elle, et elles avaient duré assez longtemps pour que la veuve Sinquin devint mère de trois enfants naturels. On crut d'abord que les scènes des 14, 13 et 16 août avaient leur origine dans le souvenir de ces relations ; et pour faire cesser le scandale, l’autorité fit reconduire Millour dans sa garnison. Mais bientôt de graves rumeurs donnèrent à ce qui s’était passé une signification plus importante. On désigna vaguement Millour comme le complice, jusque-là resté I'inconnu, du vol de 1854 ; on parla d’aveux par lui faits à sa sœur et à d’autres personnes, aveux par lesquels la veuve Sinquin paraissait devoir être compromise ; on alla même jusqu’à dire, ce qui paraissait impliquer contradiction, que Baffet et Le Louarn, morts aux galères, avaient été condamnés innocemment. Ces rumeurs, recueillies par divers agents de l’autorité, furent transmises au procureur impérial de Quimperlé qui, après s’être personnellement éclairé par des investigations officieuses, crut devoir requérir une information, non pas encore dans la pensée de l’innocence des condamnés de 1854, que jusqu’alors rien de sérieux ne pouvait faire supposer, mais en vue de rechercher si, au fond de tous les propos dénoncés, on ne trouverait pas la preuve de la complicité de Millour, et peut-être de celle de la veuve Sinquin, elle-même.

C’est de cette information que sont ressortis les faits sur lesquels l’attention de la Cour doit être tout spécialement appelée. On apprit, en effet, que, un an au moins avant les scènes violentes que nous venons de faire connaître, Millour avait dit en confidence à sa sœur, la femme Nédellec, et à un nommé Goueolon, qu’au moment de son entrée au service militaire, il avait laissé au moulin une somme de 390 francs et que, comme on lui demandait alors d’où pouvait lui provenir une somme aussi forte, il avait raconté, en recommandant le secret, que quelques années auparavant la veuve Sinquin, au service de laquelle il se trouvait encore, l’avait retenu à boire pendant plusieurs jours, avec deux autres individus, et qu’un soir, les croyant sans doute suffisamment préparés, elle leur avait remis trois de ses propres chemises et les avait accompagnés chez un vieillard.

" Quand le vol fut commis, avait-il ajouté, l’argent fut porté au moulin et partagé en quatre portions sur le foyer ; j’eu 390 francs pour ma part; j’avais caché cet argent.... mais la veuve, qui aurait voulu tout prendre, l’a découvert et me l’a volé. » Millour fit connaître, en outre, qu’au moment où ils partaient pour commettre le vol, la veuve Sinquin les avait excités à prendre, outre l’argent, les papiers de Guigourès. Ce récit, dont nous donnons la substance, n’était pas complètement exact, soit que Millour eût dissimulé une partie de la vérité, soit que sa sœur n’eût pas rapporté fidèlement ce qu’elle avait entendu ; mais il servit de base à des vérifications qui bientôt ne laissèrent aucun doute sur ce qui s’était réellement passé. L’information, en effet, constata que les trois auteurs du vol commis chez Guigourès, dans la nuit du 17 au 18 janvier 1834 (et il n’y en avait réellement que trois) étaient, outre Millour, deux habitants du bourg de Bannalec, nommés, le premier, Jean-Marie Jambou, cultivateur, et le deuxième, Alain Olivier, marchand de bestiaux.

Ces trois hommes s’étaient trouvés réunis, dans la soirée du 17, au moulin de Saint-Cado, sur l’invitation de la meunière. Au moment d’en partir pour se rendre au village de Cartel Coudiec, la veuve Sinquin leur avait noirci le visage avec de la suie, leur avait fourni des chemises pour mettre sur leurs vêtements et leur avait donné ses dernières instructions. Lorsqu’ils étaient arrivés près de l’habitation de Guigourès, Olivier était resté en .dehors pour faire le guet ; Millour tenant en main une chandelle de résine allumée, Jambou portant un fusil et un pistolet, étaient entrés dans la maison, avaient fouillé les meubles avec les circonstances que nous avons rappelées dans la première partie de notre rapport, et s’étaient emparés de l’argent et des papiers. Ils étaient ensuite revenus tous trois chez la veuve Sinquin, lui avaient remis les papiers qu’elle désirait vivement anéantir, eu égard à un procès existant entre elle et Guigourès, et avaient partagé l’argent en quatre parts.

Tous ces détails furent donnés à plusieurs reprises et d’une manière identique par Millour, Jambou et Olivier dans leurs nombreux interrogatoires. La veuve Sinquin, elle-même, après avoir tout nié avec une grande énergie, a fini par les confirmer en partie. Elle a continué de soutenir, il est vrai, qu’elle n’avait pas été l’instigatrice du vol et qu’elle n’en avait pas profité; mais elle a reconnu que, dans la nuit du 17 au 18 janvier, ces trois hommes étaient entrés chez elle, qu’ils avaient le visage couvert de suie; qu’elle les avait aidés à se laver, et qu’elle avait assisté au partage. En présence d’aveux d’une si grande persistance et d’une signification aussi complète, en présence des constatations qui en avaient été la conséquence, un arrêt de mise en accusation fut rendu, le 13 décembre 1859, par la Cour impériale de Rennes, contre Millour, Jambou, Olivier et la veuve Sinquin. »

L’acte d’accusation rappela, en les développant, tous les faits recueillis par l’une et par l’autre procédures, et on y lit le passage suivant que nous citons textuellement : « Des révélations reçues par M. le procureur impérial de Quimperlé, à la fin du mois d’août 1859, ont fait reconnaître que Le Louarn et Baffet n’étaient pas les auteurs du vol pour lequel ils ont été condamnés; les véritables coupables sont aujourd’hui sous la main de la justice; ils attendent le châtiment qu’ils ont justement mérité. »

La mort de Le Louarn et de Baffet ne rend plus possible la réparation de l’erreur judiciaire dont ils ont été victimes; mais les débats de cette affaire et le nouveau verdict du jury seront pour leur mémoire une éclatante et solennelle réparation. C’est dans ces circonstances que de nouveaux débats se sont ouverts, le 21 janvier 1860, devant la Cour d’assises du Finistère, et que les quatre accusés, déclarés coupables, avec circonstances atténuantes en faveur d‘Olivier et de Jambou, ont été condamnés : Millour et la veuve Sinquin aux travaux forcés à perpétuité, Jambou à vingt ans de travaux forcés, Alain Olivier à quinze ans de la même peine. Millour, la veuve Sinquin et Jambou se sont pourvus en cassation contre l’arrêt de condamnation. Ce pourvoi a été rejeté, le 24 février 1860, au rapport de M. Leserurier. »

Et le conseiller de Carnières de poursuivre : « Pour résultat que des doutes consacreraient l’instabilité des jugements, les auteurs de la loi de 1867 ne se sont pas laissé arrêter par ces scrupules qu’ils ont considérés comme excessifs ; l'impossibilité d’établir un débat oral entre toutes les parties ne leur a pas paru un obstacle à la révision; convaincus que la société toute entière a intérêt à ce qu’une condamnation injuste soit annulée alors même que celui contre lequel elle a été prononcée est décédé, et que la mémoire du mort doit être protégée à l'égal de l’honneur et de la liberté du vivant, il a posé les bases d’un débat contradictoire, à défaut d’un débat oral entre les parties, en autorisant l’appel de la partie civile et la nomination de curateurs. Ainsi, sous la législation actuelle, dans le cas de décès de l'un des condamnés, comme sous la législation ancienne, dans le cas où tous les condamnés étaient vivants, le débat contradictoire paraissait être une règle générale. Mais cette règle est-elle tellement absolue que, pour l’exercice de votre juridiction, il y ait lieu d’y recourir dans tous les cas? .....

Nous sommes portés à penser que l’on pourrait peut- être ne pas pousser jusqu’à cette extrémité la rigueur «les principes et que la loi vous a laissés libres de décider la question selon les exigences de la vérité et de la justice» en s’en rapportant à la haute expérience à laquelle elle fait un appel exceptionnel. On trouve dans l’exposé des motifs de la loi de 1867 un paragraphe ainsi conçu : « Le débat contradictoire ne peut-il plus s'ouvrir à raison d'un fait de force majeure qui s’impose au juge, comme le décès... La Cour suprême devient le Tribunal de la révision; elle juge les mémoires et les absents. Ces mémoires, ces absents ont- ils un vivant pour adversaire? elle est pour ces intérêts également sacrés, qui seraient d’ailleurs inégalement représentés, inégalement défendus, l'arbitre toujours impartial, toujours éclairé. Sans enlever aucun justiciable à ses juges naturels, elle brisera, pour celui qui fut mal jugé, la mauvaise sentence, et ajoutera au verdict bien rendu l’autorité d’un arrêt qui confirme. » Ce passage de l’exposé des motifs qui vous rend juges, non-seulement des mémoires, mais aussi des absents, et qui vous fait l’arbitre de toutes les défenses, nous parait impliquer pour vous le pouvoir discrétionnaire que nous venons d’énoncer et que nous serions disposés à reconnaître. Cette interprétation semble d’ailleurs favorisée par l’article 445 qui laisse à la disposition de la Cour le droit de déclarer que l’affaire est ou n’est pas en état de recourir à des moyens nouveaux d’instruction ou de s’en abstenir.

On ne peut se dissimuler, il est vrai, que l’exercice de ce pouvoir exige une réserve extrême, une préoccupation énergique et constante des droits de la défense; mais on peut penser en même temps, en présence d’un cas exceptionnel, que le législateur a voulu vous le confier. Si cette opinion était accueillie par vous, elle ne pourrait recevoir une application plus favorable et plus opportune que dans la circonstance actuelle. Vous n’avez pas besoin, en effet, de nommer des curateurs à la mémoire des condamnés décédés, puisque cette mémoire est dès à présent, et d'un accord unanime, déchargée de la condamnation; vous n’auriez aucune explication utile à recevoir des condamnés du 21 janvier 1860, puisqu’ils n’ont pas cessé de reconnaître leur propre culpabilité et l’innocence de Baffet et de Lelouarn; et, quant à la partie civile, son appel devant vous serait absolument inutile, puisque la culpabilité de ceux contre lesquels elle a obtenu des dommages-intérêts n’est mise en question par personne. D’un autre côté, si vous décidiez qu’il est indispensable “d’appeler devant vous Millour, Jambon et Olivier, vous rencontreriez immédiatement des difficultés qui ne seraient pas en rapport avec l’intérêt que l’on pourrait attacher à leur présence.

Par suite des lois et règlements sur l’exécution de la peine des travaux forcés, ces trois condamnés sont, très probablement, soit à la Guyane, soit à la Nouvelle-Calédonie. Il faudrait donc les en faire revenir, avec la certitude que leur présence serait sans résultat utile. Vous examinerez si la loi, qui n’a posé à votre juridiction aucune règle absolue de procédure, doit être interprêtée dans ce sens. Si vous ne le pensez pas, vous déciderez, après avoir constaté l’inconciliabilité des deux arrêts, et attendu que le décès de Lelouarn (ou Louarn) et de Baffet ne permet plus de procéder à des débats oraux entre toutes les parties, qu’il y a lieu pour vous de statuer au fond, conformément à ce qui est prescrit par l’article 446. Au fond, attendu que l’affaire est en état, vous direz qu’il n’est pas nécessaire de recourir à de nouveaux moyens d’instruction et d’appeler en cause les parties survivantes, et, statuant de piano, vous annulerez l'arrêt du 1 er mai 1854 et vous déchargerez la mémoire des deux condamnés contre lesquels il a été rendu. »

La révision du procès criminel d’Yves Le Louarn et d’Auguste Baffet

C’est donc quinze ans après leurs condamnations, le 11 juin 1869, que le garde des sceaux Baroche et la Cour de cassation de Paris, pour réparer le jugement de Quimper en s’appuyant sur la nouvelle loi, a réhabilité officiellement Auguste Baffet et Yves Le Louarn. Cette fois, le jugement les innocentant a été publié et affiché au bourg de Bannalec ainsi qu’à Quimperlé et Quimper.

« Dans les numéros des 22 et 23 février 1860, la Gazelle des Tribunaux (journal de jurisprudence et des débats judiciaires, éditeur Paris 02.07.1869, Achille Darmaing éditeur scientifique) a la première proclamé l’erreur de la condamnation prononcée contre les nommés Lelouarn (ou Louarn) et Baffet; les véritables coupables, au nombre de trois, ayant été condamnés à leur tour, après la mort au bagne de ces deux malheureux, il était légalement impossible de déclarer leur innocence et de réhabiliter leur mémoire. La Gazette des Tribunaux a relevé alors, avec le plus grand soin, tous les documents qui devaient suppléer, au moins au point de vue moral, à cette réhabilitation que la loi de cette époque ne permettait pas de poursuivre.

La loi du 29 juillet 1867 a ouvert au gouvernement et aux familles un droit considérable et précieux; il en a déjà été usé, et dans cette affaire notamment. Son Excellence M. le garde des sceaux, en l’absence de réclamations des familles, trop pauvres pour introduire une pareille demande, a demandé d'office à la Cour de cassation la révision du procès des nommés Lelouarn et Baffet. Les lecteurs de la Gazette des Tribunaux apprendront avec intérêt que S. M. l’Impératrice n’est pas restée étrangère à cette œuvre de réhabilitation. La femme et la fille Lelouarn, fort honnêtes femmes, n’ayant que de faibles moyens d’existence, se sont, à diverses reprises adressées à Sa Majesté pour obtenir des secours. Leurs lettres relevant toutes les circonstances de la condamnation injuste qui avait frappé leurs mari et père donnèrent lieu aux enquêtes nécessaires; c’est à la suite de ces enquêtes que M. le garde des sceaux a saisi la Cour de cassation de la révision de ce procès; il demandait l’annulation de l’arrêt qui avait condamné Lelouarn et Baffet, la déclaration de leur innocence et la réhabilitation de leur mémoire. L’affaire fut portée à l’audience de la Cour de cassation du 11 juin dernier 1869. »

COUR DE CASSATION
Chambre criminelle

Présidence de M. Legagneur, Président.
Audience du 11 juin : Affaire Le Louarn et Baffet
Demande en révision
Condamnés morts au bagne et reconnus innocents.

« Attendu qu’il résulte tant des arrêts de renvoi et des actes d’accusation rendus et dressés dans ces deux affaires, que des pièces des deux procédures successives, que trois individus seulement ont pris part, comme auteurs, au vol qui, a donné lieu à ces, condamnations; d’où il suit que, cinq accusés ayant été, condamnés comme s’en étant directement rendus coupables, il existe entre les deux arrêts précités une contradiction qui ne permet pas de les concilier, et de laquelle résulte la preuve de l’innocence soit de Baffet et Louarn ou Lelouarn, soit de Millour, Jambou et Olivier. »

Par ces motifs,
Vu la régularité de la procédure par laquelle la Cour est saisie,
Vu l’article 445 du Code d’instruction criminelle,
La Cour déclare qu’il y a lieu à révision.
Et attendu qu’il résulte des documents produits que Baffet est mort au bagne de Brest le 23 décembre 1854 et que Louarn ou Lelouarn, transféré à Cayenne le 18 décembre de la même année, y est décédé le 18 juillet suivant;
Attendu que ce double décès ne permet plus de procéder de nouveau à des débats oraux entre toutes les parties et qu’il y a lieu, dès lors, pour la Cour, de faire usage du droit qui lui est délégué par l’article 446,
En conséquence, vu ledit article et statuant au fond :
Attendu qu’il résulte des pièces des deux procès, transmises à la Cour par ordre de M. le garde des sceaux, que le vol, commis au préjudice de Guigourès, a été concerté et préparé au domicile de la veuve Sinquin et à l’instigation de celle-ci; que les seuls auteurs directs de ce vol sont les nommés Millour, Jambou et Olivier ; que la veuve Sinquin les a réunis plusieurs fois dans son moulin, les a fait boire, et, dans la soirée du 17 janvier, leur a noirci la figure, leur a fourni des chemises pour se travestir et leur a donné toutes les instructions nécessaires ; que Millour et Jambou sont entrés dans la maison de Guigourès pendant que Olivier faisait le guet ; que le premier portait une chandelle de résine allumée ; que le second était armé d’un fusil et d’un pistolet appartenant à Millour ; que c’est Jambou qui a forcé le tiroir et volé l’argent; et que, s’ils ont soustrait des papiers, c’est que la veuve Sinquin le leur avait instamment recommandé, parce que, dans sa pensée, la disparition de ces papiers devait faciliter le gain d’un procès imminent entre elle et Guigourès ;

Attendu qu’il en résulte, en outre, que, dans la nuit même, le produit du vol a été porté au moulin de la veuve Sinquin ; que l’argent a été partagé par cette femme entre elle et ses complices, et que les papiers ont été brûlés ; « Attendu enfin que Millour, Jambou et Olivier, en faisant à diverses reprises l’aveu de leur culpabilité, ont, en même temps, reconnu formellement l’innocence de Baffet et de Louarn ou Lelouarn ; que l’ensemble de la procédure a confirmé cette reconnaissance et a prouvé le mal fondé des charges qui, par un concours de circonstances, s’étaient accumulées dès l’origine contre ces deux accusés et avaient entraîné dans une erreur fatale le jury et la Cour d’assises; |

Attendu, dès lors, que l’innocence de Baffet et de Louarn est dès à présent régulièrement et irrévocablement constatée,
Attendu que l’affaire est d’ailleurs en état et que, en présence de la vérité qui se manifeste avec une éclatante évidence, il n’y a lieu de recourir à aucun des moyens d’instruction dont l'emploi est autorisé par les articles 445 et 446 précités ;

Par ces motifs,
La Cour annule, comme injustement portée, la condamnation prononcée contre Auguste Pierre Baptiste Prosper Baffet et contre Yves Louarn ou Lelouarn, par l’arrêt précité de la Cour d'assises du Finistère, du 1 er mai 1854; déclare que ces deux condamnés sont innocents et décharge leur mémoire; Ordonne que, à la diligence du procureur général, en la Cour, le présent arrêt sera imprimé; qu’ il sera transcrit en marge de l’arrêt annulé, et qu’en outre, en vertu des dispositions de l’article 1036 du Code de procédure civile, il sera affiché tant dans la ville de Quimper que dans la commune de Bannalec. « Ainsi jugé, etc. »

Après le rapport du conseiller de Carnières, M. l’avocat général Connelly a conclu à la cassation de l’arrêt condamnant Lelouarn et Baffet, à la déclaration de leur innocence et à la réhabilitation de leur mémoire. Conformément à ces conclusions, la Cour a rendu l’arrêt suivant : La Cour, M. le conseiller de Carnières en son rapport et M. 1’avocat général Connelly en ses conclusions ;
Vu la lettre en date du 30 avril 1869 par laquelle M. le garde des sceaux charge M. le procureur général de déférer à la Cour de cassation, en vertu des articles 443 et 444 du Code d’instruction criminelle, deux arrêts rendus les 1 er mai 1854 et 21 janvier 1860 par la Cour d’assises du département du Finistère,
Vu le réquisitoire du procureur général en date du 7 mai 1869,
Vu les articles 443 et suivants du Code d'instruction criminelle modifiés par la loi du 29 juin 1867,
Vu enfin tous les documents produits au procè,
Attendu que, dans la nuit du 17 au 18 janvier 1854, un vol d’argent et de titres de propriété a été commis, avec circonstances aggravantes, au préjudice de Jean Guigourès, cultivateur, âgé de soixante-quatorze ans, demeurant au village de Castel-Coudiec, commune de Bannalec, arrondissement de Quimperlé; que de minuit à une heure du malin, deux malfaiteurs ayant la figure noircie, la tête enveloppée de linges et portant des chemises blanches par-dessus leurs vêtements, ont forcé la porte de la maison habitée par ce vieillard, par sa femme et par une jeune servante, et après une scène de menaces et de violences qui se prolongea pendant plus d’une heure dans laquelle Guigourès a été blessé à sang coulant, ont brisé la serrure d’un tiroir fermé à clef el y ont pris une somme de 2 100 francs et des papiers d’affaires ; que l’un de ces malfaiteurs était armé d’un fusil et d’un pistolet dont il a menacé de faire usage, et que, pendant l’exécution du vol, un troisième, porteur d’ un bâton, faisait le guet à la porte extérieure,

Attendu que, par arrêt de la Cour d’assises du Finistère, en date du 1 er mai 1854, les nommés Auguste Pierre Baptiste Prosper Baffet, cultivateur et ancien aubergiste, et Yves Louarn ou Lelouarn, ouvrier carrier, tous deux domiciliés à Bannalec, déclarés par le jury coupables de ce vol avec toutes ses circonstances aggravantes, ont été condamnés, en vertu des articles 381 et 382 du Code pénal, le premier à vingt ans de travaux forcés, par suite de l’admission de circonstances atténuantes, le deuxième aux travaux forcés à perpétuité,
Que, lors de cette procédure, le malfaiteur désigné comme ayant fait le guet pendant le vol n’a pu être signalé à la justice,

Attendu que, plus de cinq ans après cette condamnation, et par arrêt en date du 21 janvier 1860, rendu par la même Cour d’assises, trois autres accusés, les nommés Claude Millour, Jean Marie Jambou et Alain Olivier, poursuivis comme auteurs du même vol et également reconnus coupables par le jury, ont été condamnés, Millour aux travaux forcés à perpétuité, Jambou à vingt ans. »

Récemment Madame Annick Le Douget aux Presses Universitaires de France a analysé l’affaire du point de vue de la répercussion que ce jugement avait eu sur le fonctionnement de la justice Finistérienne et Française. Elle nous dit : « Le seul cas avéré d’erreur judiciaire imputable à la cour d’assises du Finistère concerne Yves Louarn et Auguste Baffet, deux gueux malfamés de Bannalec, jugés le 1er mai 1854 pour vols commis de nuit avec arme dans une maison habitée ». Elle poursuit : « Cette erreur judiciaire fait date car les magistrats qui composent la Cour d’assises en 1860 (procès de Millour, Jambou, Ollivier, Le Scelin) déploient beaucoup d’efforts, à ne pas faire de publicité à l’affaire ».

Elle nous rappelle que le Président du Tribunal avait écrit à l’époque : « Je craignais(…) que la défense ne fit grand bruit de cette erreur judiciaire malheureusement trop certaine et qu’elle n’eût une influence fâcheuse sur les décisions du jury à intervenir dans les autres procès ». Enfin Annick Le Douget note que : « le souvenir de l’erreur judiciaire a longtemps hanté la salle d’audience Quimpéroise », « Les jurés Finistériens ne prononceront que deux peines capitales dans les quinze années qui suivront l’affaire, contre une condamnation à mort par an dans les dix ans qui la précédaient ».

Plus de 150 ans après leurs réhabilitations, une rue de Bannalec a été baptisée du nom des deux comparses d’infortune. Il est à regretter toutefois, que n’ait pas été mentionnée d’une manière ou d’une autre, la modification du champ d’application des révisions de procès par la loi promulguée le 29 juin 1867. A elle seule, elle a eu des répercussions importantes sur le traitement des réhabilitations d’erreurs judiciaires qui jusqu’alors étaient délaissées, et abandonnées par la justice française dès lors que les condamnés étaient décédés. Que la condamnation à tort d’Auguste Baffet et d’Yves Louarn ait participé à la modification de la loi, et qu’ils en aient été parmi les premiers bénéficiaires mérite que l’on s’en souvienne et que cela soit rapporté. Hélas, les dégâts que cette affaire avait causés étaient irréparables, ayant entrainé la mort des protagonistes…

Le dernier chapitre consacré à cette affaire, intitulé "Que sont ils devenus ?" sera bientôt en ligne sur notre site.

Sources :
- Les deux forçats de Bannalec par Amédée Blondeau.
- La meunière de Saint-Cado de Saint-Genest.
- Bannalec à travers les âges de Marcel Kervran, imprimerie régionale Yves Olivier, Bannalec, 1986.
- Violence au village, la société rurale finistérienne face à la justice (1815-1914) par Annick Le Douget, Presses Universitaires de France.
- La Gazelle des Tribunaux (journal de jurisprudence et des débats judiciaires, Paris, 02.07.1869, Achille Darmaing, éditeur scientifique.
- Les minutes des procès d’assises du Tribunal de Quimper de 1854 à 1860, Archives départementales du Finistère.
- Rapport de M. le conseiller de Carnières : Jurisprudence de la cour de cassation.
- Jugement de la cour de cassation, révision du procès criminel.
- La Révision des procès criminels, Arthur Desjardins, Revue des deux Mondes, 4e période, tome 153, 1899 (p. 753-778).
- Actualité, le quotidien du droit, Dossier Patrice Reviron, 29 Sept 2017.

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